Le tourisme durable : comment nos destinations françaises mesurent-elles leur véritable impact ?

Le voyage est une source inépuisable d’émerveillement, de découverte et de connexion. Mais derrière chaque paysage idyllique et chaque expérience mémorable se cache une réalité : l’impact de nos déplacements sur la planète et les communautés locales. Alors que l’urgence climatique s’intensifie, une question cruciale se pose : comment faire rimer tourisme et durabilité ? Loin des discours marketing, des experts se penchent sur la mesure concrète de cette performance environnementale. Nous explorons les coulisses de cette révolution avec les éclairages de Caroline Le Roy, chercheuse et spécialiste du tourisme durable, qui nous révèle comment les destinations françaises s’engagent pour un avenir plus respectueux.

Pourquoi le tourisme durable est-il si difficile à mesurer ?

Mesurer l’impact du tourisme ne se limite plus aux seuls chiffres de fréquentation ou aux retombées économiques. L’enjeu est désormais de quantifier ce qui était jusqu’ici souvent invisible : la pression sur les ressources naturelles, la perte de biodiversité ou encore la consommation d’eau. Un défi de taille pour les Organismes de Gestion de Destination (OGD), ces entités clés qui façonnent l’offre touristique de nos territoires.

Au-delà des chiffres économiques : l’angle environnemental

Pendant longtemps, la performance d’une destination se mesurait à l’aune de son succès économique : nombre de visiteurs, emplois générés, budgets alloués. Caroline Le Roy souligne que la durabilité reste encore trop peu traduite dans les indicateurs traditionnels. Les budgets consacrés à l’impact environnemental sont souvent minimes, malgré un intérêt croissant des acteurs. La « théorie du donut », qui fixe des limites planétaires et sociales à ne pas dépasser, offre une perspective éclairante pour repenser cette approche.

Les défis de la quantification : de la biodiversité à l’eau

Comment évaluer précisément la perte de biodiversité ? Comment mesurer la fragilité d’un territoire face au manque d’eau ? Ces questions complexes nécessitent une ingénierie de la donnée innovante, intégrant par exemple les données satellites ou les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance). L’objectif est de dépasser la simple observation pour développer de véritables outils de pilotage, capables de guider les décisions et d’associer toutes les parties prenantes, pour une performance qui ne soit pas uniquement financière.

Les OGD : acteurs clés de la transformation des destinations

Les Offices de Tourisme et autres OGD sont au cœur de cette transition. Leur rôle, traditionnellement axé sur la promotion, évolue vers une gestion plus systémique et responsable des territoires.

De l’atténuation à l’anticipation : une évolution nécessaire

Face à l’anthropocène, l’ère de l’impact humain sur la Terre, les OGD sont souvent en mode « atténuation » : réduire les déchets, limiter l’impact des mobilités. Pourtant, l’urgence est à l’anticipation. Le Code du tourisme lui-même stipule que les offices doivent participer à la stratégie territoriale globale, incluant l’urbanisme ou les plans climat. Une proactivité qui, si elle existe, n’est pas encore suffisamment structurée.

Des exemples concrets en France : Biscarrosse, Poitiers, Avignon

La thèse de Caroline Le Roy met en lumière des initiatives prometteuses dans trois destinations françaises, toutes complémentaires et s’appuyant sur les Plans Climat Air Énergie Territoire (PCAET) :

  • Biscarrosse : Cette destination travaille sur la gestion de crise et l’anticipation des enjeux, notamment par la sensibilisation des habitants au tourisme durable.
  • Poitiers : L’accent est mis sur la mutualisation des moyens pour la transition, avec des projets de « nudge marketing » et de prospective des métiers dans le cadre d’une démarche RSE.
  • Avignon : Un dispositif de coaching accompagne les professionnels du tourisme dans leur transition, avec un focus sur le design des offres et les mobilités décarbonées.

Ces exemples montrent une reconnaissance croissante et un dialogue renforcé entre les Offices de Tourisme et leurs collectivités, véritables alliés dans cette démarche de transformation.

Des outils innovants pour un tourisme plus vert

Pour passer de l’intention à l’action, des outils adaptés sont indispensables. Caroline Le Roy explore des méthodologies novatrices pour les OGD.

Les tableaux de bord : bien plus que de simples indicateurs

L’idée est de « dézoomer » vers les Objectifs de Développement Durable (ODD) et d’intégrer des indicateurs d’impact, et non plus seulement d’objectif ou de résultat. La notion de « seuil et de fourchette » représente une avancée majeure, permettant de définir des limites à ne pas dépasser. Ces tableaux de bord deviennent de véritables « usines à gaz » nécessaires, non seulement pour mesurer, mais surtout pour piloter et transformer.

Intégrer les parties prenantes, y compris le « non-humain »

Un aspect fondamental de la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) est l’intégration des parties prenantes. Au-delà des acteurs économiques, il s’agit de connaître son territoire dans toute sa complexité, y compris les « parties prenantes invisibles ou invisibilisées ». Caroline Le Roy va plus loin en proposant d’intégrer le « non-humain » – comme le patrimoine naturel ou culturel – dans les tableaux de bord, afin que ces entités puissent être représentées et protégées. Une réflexion audacieuse inspirée des travaux internationaux sur l’intégration du non-humain dans le droit.

Le passeport vert et l’optimum de fréquentation

En collaboration avec FairMoove et l’agence Isère Attractivité, des projets concrets voient le jour, comme la création d’un « optimum de fréquentation ». L’objectif est d’évaluer l’impact positif ou négatif de la fréquentation sur les entreprises et les habitants, et de formuler des préconisations. Le « Passeport Vert », en cours d’évolution, vise à capitaliser sur ces observations pour s’adapter aux différents types d’OGD et se déployer à l’international. Ces outils, loin d’être de simples reportings, sont conçus comme de véritables aides à la décision, transformant les chiffres bruts en leviers d’action politique.

Comment voyager autrement : le rôle du voyageur éclairé

Si les OGD sont les architectes du tourisme de demain, les voyageurs ont aussi un rôle crucial à jouer en choisissant des destinations engagées et en exprimant leurs attentes.

Choisir des destinations engagées

Chaque territoire a sa propre définition du « voyager autrement ». À Arcachon, cela peut se traduire par la mobilité décarbonée et la valorisation du patrimoine naturel. En Bretagne, l’accent sera peut-être mis sur la consommation locale. En tant que voyageur, s’informer sur les démarches de durabilité des destinations et privilégier celles qui s’engagent activement est un premier pas essentiel. Les avis clients, souvent sous-estimés, pourraient d’ailleurs devenir une source précieuse pour les politiques touristiques, en corrélant les attentes des consommateurs avec les offres de tourisme durable.

L’importance des avis clients et des attentes locales

Intégrer les avis des voyageurs dès l’amont des politiques touristiques permettrait de mieux comprendre ce que les gens attendent en matière de tourisme durable et de voyages « autrement ». En croisant ces données avec les études des plateformes de réservation, les OGD pourraient affiner leurs stratégies et proposer des expériences qui répondent réellement aux aspirations d’un tourisme plus respectueux. C’est en associant les politiques touristiques à ce que doit être une destination, en lien avec les attentes des visiteurs et des habitants, que se construira le tourisme de demain.

Vers un tourisme plus conscient et collaboratif

Le travail de Caroline Le Roy et de nombreux acteurs du tourisme durable nous montre que la transition est en marche. Elle nécessite une approche pluridisciplinaire, intégrant chercheurs, géographes et experts de tous horizons. En vulgarisant la recherche, en invitant les OGD à collaborer davantage avec le monde académique et en développant des méthodes interactives, nous pouvons anticiper les défis plutôt que de les subir. Le tourisme de demain sera mesuré, conscient et profondément ancré dans le respect de nos territoires et de toutes leurs composantes, humaines et non-humaines. C’est un voyage collectif vers des destinations plus résilientes et inspirantes.

1 réflexion au sujet de « Le tourisme durable : comment nos destinations françaises mesurent-elles leur véritable impact ? »

  1. C’est un sujet tellement complexe, mais cet article le rend super clair, bravo pour ça ! La vision de Caroline Le Roy et l’idée d’intégrer le « non-humain » dans les indicateurs, c’est vraiment fascinant et ça va loin. Ça me fait réfléchir à mes propres voyages. En tant que voyageur, on veut bien faire, mais le décalage entre ces outils complexes pour les OGD et ce qui est accéssible à monsieur-madame tout le monde pour choisir une destination reste énorme. Comment est-ce qu’un site comme le vôtre, par exemple, pourrait nous aider à « lire » ces fameux tableaux de bord ou à comprendre concrètement les engagements de Biscarrosse ou Poitiers quand on prépare un séjour ? On parle des avis clients, mais j’ai l’impression qu’on est encore loin de pouvoir évaluer un impact réel avec ça. C’est une réflexion super importante pour l’avenir de nos destinations !

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